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Les temps de la détention provisoire: entre fiction et réalité

Du choc carcéral à l’annonce d’une expertise psychiatrique, nous vous proposons la suite du parcours immersif dans le monde de l’enfermement à travers les yeux de Monsieur X, personnage fictif mais coloré par nos expériences professionnelles, nos connaissances théoriques et pratiques et teinté par les propos émis des personnes détenues que nous avons rencontré au fil des années. Seconde partie de cette immersion en détention provisoire.

Une prison ne dort jamais. Les bruits envahissent l’esprit embrumé de Monsieur X durant son sommeil. Un cri retentit au loin. Des coups portés aux barreaux. Un bruissement dans la cellule. Autant de sons qui s’entremêlent dans ses rêves. Le réveil est douloureux, ses sens s’éveillent et le cauchemar prend vie sous ses yeux : il se trouve bel et bien enfermé dans une cellule. Les journées et les nuits s’enchaînent alors en une douce litanie et la rythmique carcérale s’impose.  Le temps devient un “temps à tuer” et perd de sa substance. Il ne se maîtrise plus, ne devient plus un objet de réflexion et se transforme en une “entité malléable” que Monsieur X calcule, découpe et évalue au gré de ses journées. 

Que l’on justifie l’incarcération par la nécessité de punir, de dissuader, de protéger la société ou de rééduquer le délinquant/criminel, c’est toujours en présupposant que l’univers carcéral influe sur le détenu. La thématique du temps carcéral a été maintes fois explorée par les travaux sur la prison, notamment à travers la question de la prisonniérisation, qui désigne le processus par lequel un détenu assimile son environnement, acquiert de nouvelles habitudes de vie et adhère à de nouvelles valeurs.

Si l’abolition de la peine capitale est inscrite dans le Code pénal suisse depuis 1942, une nouvelle peine a vu le jour, celle de l’exclusion et de la mort sociale. De la peine de mort, nous avons glissé vers un système de la peine d’un temps mort. L’incarcération devient dès lors l’expérience d’un temps subi et est l’une des caractéristiques des institutions totales telles que décrites par Goffman.

Monsieur X refuse toutefois d’être assimilé par le milieu carcéral et il tente de combler ses journées au maximum afin d’éviter d’être un esclave du temps et englué dans la passivité. Radio et télévision apparaissent dès lors comme la possibilité de garder une synchronie avec le temps social et celles-ci distillent à longueur de journée leurs grésillements. Enfermé dans une routine asphyxiante, Monsieur X tente de garder la maîtrise de ses journées et de nouvelles habitudes s’ancrent et s’installent. Si ses co-détenus se délaissent dans l’inactivité et essayent de se soustraire au temps par la paresse et le sommeil, Monsieur X, à l’inverse, se réfugie dans le sport. Une activité qui lui offre un moment de répit dans le flot incessant de ses pensées. D’ailleurs, son corps a changé, ses muscles sont davantage dessinés, sa respiration est moins saccadée. Jamais il n’a été aussi en forme. Mais à quoi bon? Un corps sain mais un esprit enfermé, douce ironie. Dans cette routine carcérale, le temps semble soudainement s’accélérer lorsque Monsieur X est interrompu par un agent de détention qui vient le chercher pour l’emmener en salle d’entretien. Son avocat est présent. Enfin. Cela fait longtemps qu’il n’a plus eu de ses nouvelles. Que vient-il lui annoncer ? L’incertitude plane, puis l’information tombe : une expertise psychiatrique est demandée par le procureur du Ministère public. Un expert psychiatre va le rencontrer prochainement. Monsieur X reçoit alors des recommandations de la part de son avocat : se montrer collaborant et exposer la vérité sans toutefois trop en dévoiler. Après une heure de discussion, où Monsieur X se perd par instant dans les méandres d’un jargon juridique, un agent de détention vient les interrompre. Il est temps pour l’avocat de retrouver l’air libre et de respirer, et pour Monsieur X de retourner au sein de sa cellule, dans son temps confiné. Les doutes l’assaillent et l’esprit embrumé il explique la situation à l’un de ses co-détenu. Celui-ci tient un discours tout autre que celui présenté par son avocat : il faut se méfier des experts ! D’après son expérience, ils recommandent systématiquement une mesure, surtout pour des actes similaires à ceux reprochés à Monsieur X.

La Suisse possède un système dit dualiste en matière de droit pénal, c’est-à-dire qu’il existe deux groupes de sanctions pénales : les peines et les mesures. 

Si un individu ayant commis un délit/crime est reconnu coupable, une peine (amende, peine pécuniaire, peine privative de liberté) ferme ou avec sursis lui est infligée. 

Les mesures, quant à elles, peuvent être des mesures thérapeutiques institutionnelles (art. 59 à 61 CP), des mesures thérapeutiques ambulatoires (art. 63 CP) ou des mesures de sûreté (art. 64 CP). Les mesures sont ordonnées sur la base d’une expertise psychiatrique et, contrairement à la peine, elles peuvent être prolongées, voire ordonnées à vie.

Les journées continuent inlassablement, sans changements, sans nouvelles perspectives pour Monsieur X. Cela fait des mois que son avocat lui a annoncé la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique. Pourquoi est-ce si long ? Son avenir est entremêlé à celle-ci, Monsieur X en est bien conscient. Car même si le procureur peut s’écarter des conclusions des experts, cela arrive-il réellement? Dans cette attente, les siestes sont salvatrices, instants de quiétude qui brisent ces journées interminables. Monsieur X continue à faire du sport, à se maintenir physiquement en forme alors que son esprit s’éteint. Les incertitudes et les doutes l’envahissent. Ses pensées se portent régulièrement vers l’extérieur et son regard cherche un horizon à travers les barreaux de sa cellule. Par ses souvenirs, Monsieur X se raccroche à son ancienne vie, celle d’avant la prison, celle où le temps coexistait avec celui de ses proches. Car en détention, les contacts avec sa famille sont clairsemés et ont perdu toute intimité. Le courrier envoyé est lu, décrypté et soumis à la surveillance du Ministère Public. Toute communication avec le monde extérieur est d’une lenteur affligeante, accentuant ce décalage entre la temporalité du dedans et du dehors. Monsieur X voit ses proches une fois par semaine. Un bref instant où il peut croiser le regard de sa femme et prendre son fils dans les bras. Une interruption dans sa routine carcérale. Une heure d’espoir et de joie. Un instant fugace d’intimité.

Une personne détenue en établissement préventif (soit avant jugement) a droit à une visite de ses proches par semaine, et ce dès que la détention dépasse un mois. Ce droit de visite est soumis  à la décision du Ministère Public et peut être limité dans la mesure requise par le but de la détention et par le respect de l’ordre et de la sécurité de l’établissement pénitentiaire. Pendant les visites, les contacts physiques sont autorisés, par exemple, dans les parloirs familiaux, un enfant peut s’asseoir sur les genoux de son parent détenu. Les visites sont surveillées par un agent de détention. 

Les personnes détenues ont le droit de correspondre avec l’extérieur. Le nombre de lettres envoyées et reçues est illimité. Les courriers sont toutefois soumis à la surveillance du Ministère Public et peuvent dès lors être interceptés et censurés pour éviter des risques de collusion, c’est-à-dire la communication avec des personnes impliquées dans la procédure pénale. L’établissement pénitentiaire doit faciliter le droit à la correspondance en rendant accessible le matériel nécessaire (papier, timbres, enveloppes). Finalement, les personnes détenues peuvent généralement téléphoner durant 15 minutes tous les 15 jours, pour autant que le/la destinataire soit identifié-e et agréé-e. Les contacts téléphoniques peuvent être surveillés et limités, en particulier en cas de risque de collusion. Les conversations sont enregistrées. Le droit de téléphone est considéré comme un substitut au droit de recevoir des visites, notamment si la famille de la personne incarcérée habite loin de la prison.

Des coups frappés à la porte de la cellule sortent Monsieur X de sa torpeur. Il est attendu. Ça y est, l’expert est là. Sa respiration s’accélère, son cœur bat la chamade, ses mains deviennent moites alors qu’il suit les deux agents de détention dans les couloirs. Monsieur X entre dans la salle d’entretien et il se retrouve face à l’expert. Une femme. Elle paraît si jeune! Son avenir est-il vraiment entre ses mains ? Il se cherche une contenance mais son esprit vagabonde de pensées en pensées et Monsieur X peine à se concentrer. Que raconte-t-elle? La jeune femme lui explique le processus expertal : ils vont se rencontrer à plusieurs reprises, puis lors du dernier entretien, un second expert sera présent. Monsieur X est perplexe. Ces deux individus, qui ne le connaissent pas, vont le mettre à nu en exposant l’ensemble de sa vie dans un rapport et décider de son avenir. Il se sent dépossédé de son histoire et de son passé, avec la sensation que son futur ne lui appartient déjà plus. L’experte lui expose les questions auxquelles elle doit répondre : “Est-ce que Monsieur X a un trouble mental ? Quelle est sa responsabilité au moment des actes qui lui sont reprochés ? Quel est le risque de récidive ? S’il y a un trouble mental, existe-t-il un traitement susceptible de diminuer le risque de récidive ?”. Monsieur X acquiesce, indiquant avoir compris les questions, mais celles-ci lui semblent absurdes. Il n’est pas fou, il le sait bien ! Comment le leur prouver ? Il arbore cependant un masque de sollicitude, se mure dans le silence et sourit à l’experte. Il vaudrait mieux pour lui qu’elle l’apprécie. Elle lui explique ensuite qu’il peut garder le silence et qu’il n’est pas obligé de répondre à ses questions. Vraiment ? Cela ne risquerait-il pas de lui porter préjudice ? Que se passerait-il réellement s’il lui taisait certaines réponses à ses questions ? Son avocat lui a conseillé d’être collaborant. Son codétenu lui a dit de se méfier. Monsieur X est inquiet. Il ne sait pas quelle posture adopter. L’experte lui tend maintenant un papier à signer. Quand cet entretien va-t-il réellement commencer ? Il est cette fois-ci question de délier ses médecins du secret médical afin qu’elle puisse obtenir des informations le concernant. Monsieur X ne souhaite pas apposer sa signature. Il ne veut pas que son avenir soit décidé sur la base de ses erreurs passées. Mais soit, il a promis à son avocat d’être collaborant. Durant l’heure suivante, l’experte décortique son passé et l’assaille de questions auxquelles il répond le plus honnêtement possible. Chaque parcelle d’intimité de sa vie est évoquée et décortiquée: son enfance, sa famille, ses relations sociales, amoureuses et sexuelles, son parcours scolaire et professionnel, etc. Il n’y a plus de place pour la pudeur. Lorsque l’agent de détention vient mettre fin à l’entretien, Monsieur X se sent vidé, épuisé. L’experte l’informe qu’elle reviendra bientôt et Monsieur X imagine que la séance sera tout aussi éreintante. Il n’est pas déçu. Lors de ce second entretien, il doit expliquer les faits qui lui sont reprochés, bien qu’il se soit exprimé à plusieurs reprises à ce sujet: auprès de la police, du procureur, de son avocat. Monsieur X récite son histoire, une énième fois, telle une comptine apprise par cœur. Les mots fusent, sans aucune émotion. Devrait-il se montrer davantage ému ? Il ne sait quelle attitude adopter et la fébrilité l’emporte par moment. L’experte lui demande des précisions. Davantage de détails sur son passé, sur ses actes. L’entrevue se termine enfin. Monsieur X attend la suite. Mais rien. Il n’a plus de nouvelles. Cette période lui semble interminable. La tête embrumée, il tente de s’occuper l’esprit pour ne pas avoir à trop réfléchir sur son avenir. Celui-ci lui semble désormais scellé et entre les mains des experts et de la justice. Puis un jour, comme un interlude dans le carcan temporel propre à la détention, un agent de détention vient chercher Monsieur X. Les experts sont de retour. Enfin. Outre l’experte, se présente également un homme, plus âgé. C’est lui qui l’interroge cette fois-ci, la jeune femme reste en retrait. Monsieur X préférait lui parler, elle semblait plus compréhensive. Le nouvel arrivant pose des questions qui le mettent mal à l’aise. Encore. Une énième fois. On le confronte. Monsieur X rétière ses propos et répète ce qu’il a dit à la jeune femme lors des derniers entretiens. Soupirs, frustrations, incompréhensions. Il en a assez de cette mascarade. Il se renferme et se mure dans le silence. Peut-être aurait-il dû écouter son co-détenu ? Et se méfier des experts… L’entretien est terminé. On lui demande d’attendre. Combien de temps ? La réponse n’est pas précise. Alors enfermé dans sa cellule et dans son esprit, Monsieur X attend. Inlassablement. Attente d’un rapport d’expertise qu’il espère être en sa faveur. Attente du jugement. Attente de la prochaine visite de sa femme et de son fils. Attente afin de reprendre le cours de sa vie, perdu dans un passé qu’il cherche à rattraper et dans un futur qu’il tend à percevoir. Attente d’un moment suspendu de liberté, comme une éternité. 

Natalie Knecht et Lauriane Constanty

Si vous souhaitez lire la première partie de cet article: Immersion en détention provisoire : entre fiction et réalité, bulletin 34.